Le 4 juin prochain, c'est le début de ce qui constitue sans doute la plus grande révolution urbaine parisienne des 15 prochaines années, « peut-être le plus grand chantier depuis celui du Baron Hausmann », comme l'estime Jérôme Sans, l'un des directeurs artistiques du projet : le coup d'envoi, à la frontière entre Clamart, Issy-les-Moulineaux, Vanves et Malakoff, du chantier de la première station du Grand Paris Express, ce métro circulaire qui dans quelques années, reliera les banlieues parisiennes, en 200 km de lignes de métro automatique, et 68 nouvelles stations permettant de réduire considérablement de nombreux temps de trajet, à l'horizon 2030. La société du Grand Paris, financée par l'État, qui dirige le projet, a décidé de faire un geste créatif fort en confiant la conception des gares à plusieurs architectes contemporains dans le vent, et a intégré à son futur réseau un vaste programme culturel. Et le 4 juin, la fête de chantier inaugurale (voir encadré) devrait montrer à quel point celui-ci est riche et ambitieux.
Déjà, par ceux qui le conçoivent : José-Manuel Gonçalvès, actuel directeur du 104 à Paris – dont il a réussi à faire un lieu à la fois pointu dans sa programmation et populaire par la manière dont la jeunesse et les artistes se sont spontanément approprié les espaces pour danser, jouer, etc. –, et Jérôme Sans, cofondateur du Palais de Tokyo, lieu jeune et vivant créé au cœur d'un quartier parisien à l'époque fort calme. « À nous deux, nous couvrons suffisamment de territoires culturels et artistiques pour répondre à un chantier d'une telle envergure », explique justement Jérôme Sans qui, après le Palais de Tokyo, a notamment ambiancé l'UCCA, devenu sous son égide l'un des plus importants centres d'art contemporain en Chine. « D'habitude, observe encore le commissaire, on convoque l'art contemporain après un chantier, ou quand on a une surface dont on ne sait pas quoi faire. Ce qui est exceptionnel, ici, c'est qu'on nous a invités à partager très tôt l'aventure. De cette manière, les artistes peuvent travailler avec les architectes, les designers, ou même les ingénieurs qui conçoivent les gares, tout en impliquant des habitants et des acteurs du territoire. Ce sera donc une vraie co-écriture ! »
Les deux directeurs artistiques, qui travaillent pour la première fois ensemble, se sont attaché une équipe d'experts deluxe (comme par exemple Eva Albarran, l'une des plus importantes productrices d'œuvres d'art pour l'espace public, qui travaille par exemple pour Nuit Blanche ou Monumenta...) et ont proposé, plus qu'une programmation, un « process ». Plutôt que de parachuter quelques artistes ou des œuvres dans chaque gare à venir, ils travailleront donc en amont, avec les habitants, les collectivités, les élus, etc. pour établir, dans chaque territoire, le programme le plus adapté, qui proposera à la fois des œuvres éphémères pendant le chantier, pour lesquelles les artistes impliqueront les habitants, puis des œuvres pérennes, signées de ces mêmes artistes et influencées par ce travail collectif. La grande fête du 4 juin illustre très bien ce processus, avec, notamment, l'œuvre du trio danois Superflex (voir encadré). Une démarche salutaire, car il est évident que les besoins et envies ne seront pas les mêmes, par exemple à Clamart, banlieue cossue, et Bobigny, plus défavorisée. L'autre spécificité du projet de Messieurs Gonçalvès et Sans, c'est l'ouverture à plusieurs disciplines : art contemporain mais aussi nouvelles technologies, cuisine, musique, multimédia, danse... Là aussi, la grande fête du 4 juin sera une belle préfiguration de cette richesse.
L'initiative du Grand Paris Express a ceci de réjouissant qu'elle est l'une des rares, sinon la seule qui propose un vrai projet culturel global à l'échelle du Grand Paris. Pour Jérôme Sans, « ce n'est pas une innovation de dire que beaucoup d'acteurs culturels vivent, expérimentent et travaillent déjà sur les territoires au-delà du périphérique. De moins en moins d'artistes peuvent travailler dans Paris. » Si on les additionne aux entreprises qui installent leur locaux ou leurs sièges (comme BETC à Pantin, sur les bords du canal de l'Ourcq), on obtient une valeureuse somme de forces en présence que le projet du Grand Paris Express servira à révéler, dans les nouveaux quartiers qui ne manqueront pas de naître autour des gares. Alors, adieux Parisiens et banlieusards, bientôt tous Grands Parisiens ?